Cet article synthétise la pensée de Patrick Buisson, essayiste prolifique décédé en 2023 et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy.
Société de consommation – Le sentiment d’inaccessibilité à certains biens de consommation contribue au sentiment déclassement des classes moyennes et de la France périphérique. La révolution consumériste des années 60 n’est pas simplement une mutation économique, passant d’une économie de production à une économie de consommation, avec des conséquences comme la désindustrialisation. C’est un changement d’humanité.
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Consommation et identité sociétale
Le consumérisme fabrique une nouvelle humanité qui se définit par ce qu’elle consomme. La consommation est un élément de standing social. On réduit l’être humain à ce qu’il a de plus impersonnel : ce qu’il consomme, non pas ce qu’il est métaphysiquement. La société de consommation est une société sans cervelle, où la publicité joue un rôle majeur pour créer des besoins et occuper les « parts de cerveau disponibles ».
La publicité fonctionne comme une anthropofacture, fabriquant un Homme nouveau réduit à sa dimension impersonnelle. L’érotisation de l’image publicitaire est un moyen pour y parvenir. Selon les marxistes, la publicité est la dernière ruse du capitalisme pour transformer les travailleurs en consommateurs.
« Capitalisme de la séduction » : Patrick Buisson cite souvent Michel Touscard, philosophe et compagnon de route du Parti communiste. Patrick Buisson est-il pour autant marxiste ? Pas du tout. Les marxistes ne viennent qu’après dans cette analyse.
Ceux qui ont des intuitions, qui font une analyse, sont les chrétiens. Il cite aussi Maurice Clavel et Pasolini, variantes du christiano-marxisme.
Des français moins croyant et plus consommateurs
L’Église est la seule institution pouvant s’élever contre le règne de la matière et de l’économie. Clavel dit la même chose. L’Église aurait dû donner une réponse au culte de la consommation, mais a choisi de courir après la modernité lors du Concile Vatican II.
Michel Touscard fait cette analyse 20 ou 30 ans plus tard, mais Pasolini, Maurice Claval et Pierre Chaunut l’ont précédé. Ils voient très exactement ce qui se passe : le krach démographique et l’avènement de la consommation sont corrélés à l’effondrement de la foi et de la pratique religieuse en France.
Une idée répandue est que les sociétés catholiques sont moins performantes économiquement que les sociétés protestantes, comme le sous-entend Durkheim. C’est l’analyse de Max Weber, mais il ne l’étend pas forcément au catholicisme. Il y a eu convergence entre l’esprit du protestantisme et la naissance du capitalisme.
En conclusion, les marxistes se trompent souvent dans leurs analyses sur le sujet.
Le catholicisme et le christianisme ont-ils été un obstacle au développement économique ?
L’investissement à long terme, support de la croissance, est la laïcisation d’un schéma chrétien. Il s’agit du report de la satisfaction, similaire à l’Église catholique promettant une autre vie en suivant ses observances.
Cette notion de satisfaction différée est au cœur du capitalisme productif, le premier capitalisme, non financier. Il est conciliable avec les vertus du catholicisme car il sécularise une éthique et une anthropologie chrétienne : le sacrifice et le report de satisfaction. L’investissement implique de se priver d’un bien ou d’une jouissance immédiate pour un bénéfice ultérieur.
Dans les années 2010, des mesures économiques telles que le choc de compétitivité et le passage à une économie de l’offre ont été mises en place. Cependant, elles se heurtent à une société axée sur les loisirs et les désirs.
Une mutation essentielle s’est produite durant ces 15 années : le passage du capitalisme de production reposant sur une éthique chrétienne, au capitalisme financiarisé caractérisé par la compulsivité spéculative et donc d’un besoin d’argent toujours plus important. Ce changement correspond à une mutation anthropologique décrite dans des cadences et en est le prolongement.
La grande mutation économique de la deuxième moitié du XXe siècle nécessite davantage de consommateurs que de producteurs.
Consommation : l’objectif principal de la société
La demande de bien-être due à la création de besoins et à la révolution consumériste a entraîné une augmentation de la capacité du marché national à absorber des produits. Dans les années 90, le choix a été fait de délocaliser la production et de se concentrer sur une économie de consommation. Ce choix a conduit à corréler le statut social avec le niveau de consommation, faisant de la consommation l’objectif principal de la société.
La désindustrialisation en France est également liée à une volonté des élites françaises, notamment celles issues de l’univers de la production, comme Serge Tchuruk qui a théorisé la France sans usine. La recherche de rentabilité et de reconstitution des marges est un critère déterminant dans ce processus.
Cependant, il convient d’être prudent en opposant un bloc populaire immaculé à un bloc élitaire corrompu et malfaisant. Les peuples ont les élites qu’ils méritent et le peuple est également consumériste. L’étymologie du mot mérite signifie « être à la mesure de ». Le schéma simplificateur ne tient pas compte des nuances et des responsabilités partagées.
L’absence de clairvoyance du Général De Gaulle
En 1948, Bernadotte s’adressait directement au Général De Gaulle pour évoquer cette problématique.
Le Général De Gaulle insistait sur la réforme de l’État, mais la société se dissolvait. Pour reconstruire la France, il fallait d’abord refaire des Français. La mentalité du peuple français a changé, ainsi que son comportement et ses mœurs.
De Gaulle combattait efficacement l’impérialisme américain, mais n’a pas su voir la révolution culturelle du rock’n’roll. Le rock était l’incubateur d’une conscience générationnelle et d’une culture mondiale. Cependant, De Gaulle ne voyait que l’exception française et ne réalisait pas la pénétration américaine dans la culture française.
Les révolutions ont apporté du progrès technique, indéniablement positif. Toutefois, le progrès entraîne souvent son contraire : l’anti-progrès.
Le mode de culture antérieur à la motorisation, la permaculture, est de retour. La révolution Internet provoque la disparition progressive du logos au profit de la vidéosphère, l’image. Chaque progrès génère un anti-progrès. Les progrès techniques ne s’accompagnent pas d’un progrès moral.
« Décadence », le nouveau livre de Patrick Buisson chez Albin Michel, suscite des réactions diverses. On peut être en désaccord avec certaines idées ou même choqué, mais cela fait l’intérêt du livre. Malgré sa taille, il se lit facilement et rend le lecteur plus instruit et intelligent.